Category Archives: Chocoland

Vieillesse anticipée.

J’ai souvent considéré que vieillir, c’était quelque chose qui venait en même temps qu’un certain sentiment de désabus, un renoncement de plus en plus prononcé à nos idéaux, ou en tout cas le sentiment que ces derniers ne pouvaient que faire partie d’une douce utopie irréalisable. Que vieillir, c’était cesser de se battre, en pensée et dans nos actes. Cela doit en partie venir de cette phrase de mon père, à l’orée de sa crise de la cinquantaine : ” Ma fille, vieillir, c’est dans la tête” (On échappe pas à sa famille et aux empreintes qu’elle nous laisse). Cette considération a la délicatesse de faire penser, par un délicieux tour de force rhétorique, qu’on peut déjouer les mécanismes du vieillissement, en restant campé droit dans nos bottes cérébrales, et en continuant de se battre, jour après jour, pour ce en quoi l’on croit.

En me réveillant ce matin, je me suis sentie vieille. Vieille d’être suisse, vieille de vivre dans ce pays que j’aime tant, mais dont la mentalité me révolte parfois à un point inimaginable. Ou devrais-je dire me révoltais? En habitant en Suisse, année après année, on s’habitue presque à voir les campagnes vomitives de l’Union Démocratique du Centre, qui s’implantent dans le paysage urbain aussi bien que la petite vérole.

La tristesse, c’est de s’y faire. De ne s’indigner que deux jours, au lieu de fulminer de rage pendant toute la campagne. De faire un détour lorsque l’on passe près du stand des sympathisants UDC au marché, au lieu de les affronter. D’en discuter autour de moi, et de n’entendre que des  “Bah, c’était déjà comme ça l’année passée”. Et l’année d’avant. Et l’année d’avant. Et plus on s’y fait, plus les initiatives passent. Durcissement de la politique d’asile, loi contre les minarets, loi contre les étrangers criminels. Qui sommes-nous pour oser créer des citoyens de seconde zone, pour créer des précarités dans le domaine du droit? Que devient l’Europe, à répudier ceux qu’elle a accueilli? Que fait-elle, à oublier que c’est grâce à ceux ”qui ne sont pas chez nous”, que nous avons des rues, des maisons, et des rues et des maisons propres, que nos vieux ne crèvent pas seuls chez eux, que nos enfants ne sont pas abandonnés à la sortie de l’école?

Ce soir, je pars de nouveau travailler comme aide-soignante dans ma maison de retraite située en banlieue de Lausanne, dans un grand complexe de HLM. Environ 80% de soignants étrangers. Utiles ceux-ci, alors on ne va pas les expulser. Leurs cousins délinquants, par contre, si. Mes rides se creusent. Il n’existe plus de seconde chance dans notre Suisse actuelle.

Tagged , , , , , ,

Genève, un dimanche.

ça fait un bruit inimitable, qui donne juste envie de s’arrêter pour l’écouter un moment. Il faut dire que le spectacle qui l’accompagne donne lui aussi envie de s’arreter pour regarder.

Aux parc des Bastions, près du kiosque à musique transformé en ce type de restaurant où les couverts foisonnent sur la table, on peut jouer aux échecs géants, et on s’y retrouve en famille, ou entre bande de mecs, pour disputer une partie en se sentant lilliputien. Les enfants doivent prendre les pièces à pleins bras pour les déplacer, le fou et le chevalier devenant alors comme d’immenses peluches gagnées à la fête foraine. Encombrantes, mais qui te remplissent de la fierté stupide d’avoir eu gain d’un objet aussi énorme, et tu te balades badaud avec un sourire niais plaqué sur le visage. Regarde Papa ce que j’ai gagné, le cheval va ici et le roi et la reine là, et les pions sont en première ligne pour la bataille, près à ramasser, et les gamins les placent avec ce sourire niais sur le visage de ceux qui ont tout gagné. Tu seras un stratège mon fils.

Au parc des Bastions, il y a aussi en cette saison un ginkgo dont le jaune des feuilles automnales éclate l’oeil.Alors il fait froid et il a plu, et on ne sait pas trop ce qu’il peut y avoir sous les feuilles, mégots ou crottes de chiens, mais ça forme un tapis si tentant qu’on s’accroupit, se couche, qu’on écarte bien les bras et les jambes en étoile de mer, et on laisse le sourire niais se plaquer sur le visage, alors que la statue de Calvin fait la gueule au loin. Il ne savait sûrement pas se coucher dans les feuilles mortes, celui-là.

Tagged , , , , ,

Mon pays, à double.

On me demande souvent comment je fais, moi, avec ma double nationalité.

C’est pourtant assez simple, finalement : que j’aille en Suisse, que j’aille en Bretagne, j’ai toujours l’impression de rentrer chez moi.

La Suisse, c’est ton cœur qui bat très fort lorsque le lac Léman apparait enfin par les vitres du train, ou quand les montagnes bordant Genève se dessinent dans le minuscule tableau cadré par le hublot de l’avion. C’est un chez-moi que  j’ai choisi, que j’ai construit. Dont je ne suis pas originaire, mais auquel j’ai le sentiment d’appartenir, parce que je l’ai demandé, mon passeport, et parce que j’ai réfléchi à cette demande, ça me semblait tellement logique, en même temps, d’essayer d’obtenir le droit de vote, et le droit de revenir quand je le souhaitais. Alors je suis une putain de chanceuse et de privilégiée, parce qu’on me l’a presque donné direct, ce bout de carton rouge. Sans longue procédure, sans questionnaire, sans fondue à exécuter devant le chef du village. Pas comme le laitier kosovar de ce dit-village. Privilégiée, accueillie, presque espérée. J’ai failli pleurer à ma prestation de serment, là où il faut se lever en disant je le jure, parce qu’on me demandait de l’aimer ce pays, et je l’aimais déjà tellement, pas besoin de me demander enfin, Monsieur le Conseiller d’Etat, c’est toute mon adolescence la Suisse, c’est mes amis et mes études, les mots de patois qu’on découvre au hasard des discussions, le soutien mordicus face à ma famille bien trop française pour s’y être totalement intégrée. Oui, j’ai vraiment choisi de devenir Suisse. Mais ce que ce pays représente pour moi m’est un peu tombé dessus, comme on tombe amoureux sans s’en rendre compte alors qu’on a déjà femme et enfants ailleurs.

L’ailleurs, c’est la France, c’est la Bretagne et ma nourrice, les un-deux-trois-soleil dans la cour de l’école en briques avec une classe de maternelle et une classe de primaire en tout et pour tout. C’est l’odeur du foin coupé qui me monte à la tête lorsque je pédale aujourd’hui près du Mont-St-Michel, avec sa myriade de souvenirs qui explosent comme des bulles en surface.  C’est ma naissance et mon enfance heureuse, avant la Guyane, avant que les choses ne se complexifient un peu juste parce que je devenais grande. Les croissants. L’insouciance totale et ce sentiment de reine du monde et de liberté retrouvée qui m’assaillent quand je me retrouve face à la mer, 13 ans effacés d’un coup et l’ardoise à zéro. La famille qui y est restée, celle qui y retourne. Ça non plus, je l’ai pas choisi. Il y a 4 ans à Pâques, je me souviens, c’était avec toi, et cette évidence sur un sentier côtier près de Brest alors que je pensais être devenue tellement plus suisse que française. Ici, c’était aussi ma terre, et j’y appartenais.

Alors aujourd’hui je navigue, un peu suisse, un peu française, mais surtout beaucoup les deux. Sortant mon passeport brun dans les pays islamiques, et le rouge pour les États-Unis. Ç’aurait pu être l’inverse remarquez, peu importe. Je cuisine une chasse chez des amis bordelais pour montrer fièrement qu’en Suisse on sait vivre, et des galettes à Lausanne en louant les vertus de la farine de sarrasin. Un jour je suis franco-suisse, l’autre suisso-française. Un peu selon l’humeur. Mais au final, toujours à part égale.

Tagged , , , , ,

Bah…

Je suis arrivée sur le marché de l’immobilier lausannois la bouche en cœur et la fleur au fusil, forte que j’étais de mon expérience madrilène où tu tombes sur la colloc’ de l’amour en deux temps trois mouvements, malgré les quelques bouges infâmes visités au préalable.

Je suis donc revenue à Lausanne, et TOUT LE MONDE a passé son temps, lorsque je leur faisais part de ma recherche d’appartement, à me parler de saturation du marché, de taux de vacance à 0,11% (sous 0,2 %, ça devient incompressible et on est tous foutus), à me brandir des articles de journaux expliquant que les étudiants sont obligés de vivre au camping (véridique), et à me dire “tu sais, on cherche depuis 4 mois, ben on a rien trouvé et demain on rend le baiiiiil”. On m’a parlé de pistons, de “l’homme est un loup pour l’homme “, on a roulé des yeux et on m’a dit qu’on mettrait des cierges à l’église pour moi. En prenant le bus pour me rendre à mes rendez-vous, je tombais sur ça.

J’ai tremblé, j’ai fait les yeux doux à des secrétaires de gérance qui de toute façon n’en avaient rien à foutre parce c’est pas elles qui prennent les décisions, j’ai fignolé pendant des heures mon dossier de collocation pour expliquer que, oui, des étudiants en médecine, ça peut être calme et non sanguinaires (ou si peu…), je me suis déguisée en fille parfaite face aux propriétaires, j’ai encaissé le ” mais de toute façon on privilégie les familles” alors qu’on postulait pour un immeuble de vieux où le voisin d’en face recevait des lettres de plaintes lorsque le fils de ses amis invités faisait du bruit un dimanche à 14 heures, j’ai tellement souri que j’en ai encore mal à la mâchoire.

Bon, ben, on a trouvé en 7 jours, 115 m2 avec vue sur le lac… Je suis presque déçue, finalement, toute cette hargne et cet esprit guerrier accumulés pour mieux vaincre dans la jungle me restent sur les bras, et je tourne en rond en attendant d’emménager.

Je vais aller faire du sport, tiens.

Tagged , , , ,

Mon petit train de campagne.

Aujourd’hui il fait beau, avec ce petit vent froid qui rappelle qu’on est toujours à Echallens, Gros-de-Vaud, et que d’aussi loin que je me souvienne il a toujours fait froid en attendant le train, depuis le lycée, depuis le premier jour, il y a 8 ans, ça change pas.

Aujourd’hui sur le quai, deux mecs qui n’ont vraiment pas l’air d’avoir inventé la poudre donnent un joli exemple d’accent vaudois. Ils  se lancent une grosse blague raciste, je me détourne. Quand je monte dans le wagon, ils me regardent du coin de l’oeil.

Aujourd’hui dans le train, c’est un incroyable théâtre de vie. Il y a cette jeune mère donnant le sein à sa fille en la couvant des yeux, un bras la soutenant, l’autre la protégeant du soleil. Il y a sa voisine d’en face aux cheveux blancs, qui ne peut  détacher son regard de la scène, un petit sourire nostalgique à peine esquissé au coin des lèvres. Elle ne s’arrache de son hypnotisme qu’avec difficulté, d’un geste d’une infinie pudeur.

Il y a ce jeune conducteur de train dont on vient de prendre la relève et qui rentre chez lui. Il observe son collègue.  C’est drôle, c’est bien la première fois que j’en vois, un jeune. Les visages des conducteurs me semblaient immuables, depuis 8 ans.

Il y a ce petit mec assez androgyne, qui s’est enfermé derrière son casque, le regard planté dans le paysage. Les deux abrutis du quai sont assis vers lui, ils ricanent à voix basse en le traitant de tafiole. Pourquoi me suis-je encore détournée?

A la station Bel-Air, des employés d’une entreprise employant des handicapés mentaux sont montés. Ils se font toujours regarder en coin ou de travers, parfois les deux. Faut dire qu’un mec qui se tape la tête contre la vitre pendant tout le trajet, ça fait désordre.

Il y a cette vieille riche au brushing surnaturel qui, elle, ne regarde personne si ce n’est elle-même, absorbée qu’elle est par son reflet dans la glace.

Et puis il y a moi, qui observe tout ce petit monde assez peu discrètement en gribouillant avec frénésie. D’ailleurs il me semble que les cheveux blancs m’ont grillée depuis un moment.

Aujourd’hui, il y a un sacré paquet de regards dans mon petit train de campagne.

Tagged , , , , ,