Mon pays, à double.

On me demande souvent comment je fais, moi, avec ma double nationalité.

C’est pourtant assez simple, finalement : que j’aille en Suisse, que j’aille en Bretagne, j’ai toujours l’impression de rentrer chez moi.

La Suisse, c’est ton cœur qui bat très fort lorsque le lac Léman apparait enfin par les vitres du train, ou quand les montagnes bordant Genève se dessinent dans le minuscule tableau cadré par le hublot de l’avion. C’est un chez-moi que  j’ai choisi, que j’ai construit. Dont je ne suis pas originaire, mais auquel j’ai le sentiment d’appartenir, parce que je l’ai demandé, mon passeport, et parce que j’ai réfléchi à cette demande, ça me semblait tellement logique, en même temps, d’essayer d’obtenir le droit de vote, et le droit de revenir quand je le souhaitais. Alors je suis une putain de chanceuse et de privilégiée, parce qu’on me l’a presque donné direct, ce bout de carton rouge. Sans longue procédure, sans questionnaire, sans fondue à exécuter devant le chef du village. Pas comme le laitier kosovar de ce dit-village. Privilégiée, accueillie, presque espérée. J’ai failli pleurer à ma prestation de serment, là où il faut se lever en disant je le jure, parce qu’on me demandait de l’aimer ce pays, et je l’aimais déjà tellement, pas besoin de me demander enfin, Monsieur le Conseiller d’Etat, c’est toute mon adolescence la Suisse, c’est mes amis et mes études, les mots de patois qu’on découvre au hasard des discussions, le soutien mordicus face à ma famille bien trop française pour s’y être totalement intégrée. Oui, j’ai vraiment choisi de devenir Suisse. Mais ce que ce pays représente pour moi m’est un peu tombé dessus, comme on tombe amoureux sans s’en rendre compte alors qu’on a déjà femme et enfants ailleurs.

L’ailleurs, c’est la France, c’est la Bretagne et ma nourrice, les un-deux-trois-soleil dans la cour de l’école en briques avec une classe de maternelle et une classe de primaire en tout et pour tout. C’est l’odeur du foin coupé qui me monte à la tête lorsque je pédale aujourd’hui près du Mont-St-Michel, avec sa myriade de souvenirs qui explosent comme des bulles en surface.  C’est ma naissance et mon enfance heureuse, avant la Guyane, avant que les choses ne se complexifient un peu juste parce que je devenais grande. Les croissants. L’insouciance totale et ce sentiment de reine du monde et de liberté retrouvée qui m’assaillent quand je me retrouve face à la mer, 13 ans effacés d’un coup et l’ardoise à zéro. La famille qui y est restée, celle qui y retourne. Ça non plus, je l’ai pas choisi. Il y a 4 ans à Pâques, je me souviens, c’était avec toi, et cette évidence sur un sentier côtier près de Brest alors que je pensais être devenue tellement plus suisse que française. Ici, c’était aussi ma terre, et j’y appartenais.

Alors aujourd’hui je navigue, un peu suisse, un peu française, mais surtout beaucoup les deux. Sortant mon passeport brun dans les pays islamiques, et le rouge pour les États-Unis. Ç’aurait pu être l’inverse remarquez, peu importe. Je cuisine une chasse chez des amis bordelais pour montrer fièrement qu’en Suisse on sait vivre, et des galettes à Lausanne en louant les vertus de la farine de sarrasin. Un jour je suis franco-suisse, l’autre suisso-française. Un peu selon l’humeur. Mais au final, toujours à part égale.

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7 thoughts on “Mon pays, à double.

  1. Guillaume Pascanet says:

    Je ne comprenais pas pourquoi tu avais mis UDC dans les mots clefs avant de cliquer sur le lien.

    Parler de fondue pour prouver son helvétisme m’a fait penser au film “bienvenue en Suisse”.

    Lorsque j’échange avec des Suisses au hasard des forums, j’ai parfois l’impression d’une relation curieuse, mélée de complexe de supériorité et d’infériorité, d’envie et de mépris, quelque chose de pas simple en tout cas, qui peut aller facilement vers une certaine forme de racisme qui m’a beaucoup surpris.

  2. Alexina says:

    Oui, je pense saisir un peu ce que tu dis ici. J’ai en partie pour cela beaucoup bataillé pour trouver ma place et le discours serein que je tiens aujourd’hui. Mais les Français ont aussi une relation assez complexe (ou trop simple?) avec eux-mêmes!

  3. Guillaume Pascanet says:

    Oui, nous donnons à la fois dans le cocardier et dans l’autoflagellation. Les étrangers ne retiennent que le nationalisme en général.

    • Alexina says:

      Tu te rends compte alors, j’endosse les défauts des 2 nationalités à chaque instant de ma triste vie. Monde cruel! Heureusement qu’il y a le chocolat et les croissants 🙂

      • Guillaume Pascanet says:

        Tu as raison de retenir le meilleur des deux pays, et pas le pire des images d’Epinal : les grêves et le secret bancaire !

  4. Hé mais les croissants sont meilleurs en Suisse !

    • Alexina says:

      Cette affirmation est parfaitement erronée, selon mes critères personnels dans lesquels la quantité de beurre est proportionnellement reliée à la qualité gustative du croissant. Pour cette raison, les croissants ne peuvent tout simplement pas être meilleurs en Suisse, excepté diététiquement parlant. Bienvenue ici!

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